Guillaume le runner sourd

Courant Décembre 2015, j'ai pour projet de m'inscrire sur quelques grandes courses de trail 2016. Comme j'ai des points de qualification obtenus depuis 2ans, j'ai la possibilité de m'inscrire à la course CCC de l'UTMB. Ca tombe bien, Yan, traileur sourd confirmé, veut y participer aussi en 2016! Après réflexion mûre, je décide lui joindre en groupe avec d'autres traileurs sourds. Je sais que nous aurons peu de chance d'être sélectionnés en raison du grand nombre de pré-inscrits et qu'il faut attendre le tirage au sort début 2016. Si nous ne sommes pas tirés au sort, nous aurons plus de chance d'être sélectionnés l'année suivante. Bon je ne me pose pas des questions en vue la préparation de l'ultra-trail comme CCC en 2016. On verra!

Courant Janvier 2016, j'attends avec impatience le tirage au sort! Enfin, le résultat est là! Surpris, nous sommes déjà sélectionnés pour pouvoir courir le trail CCC cette année!! Evidemment, je suis très heureux ! Mais mais comment préparer cette course considérée comme l'ultra-trail montagnard très difficile pendant mes vacances estivales en Croatie avec ma famille ? Ma priorité est de passer des vacances agréables avec ma famille plutôt que de passer du temps à m'entrainer. Bon d'abord mon objectif est de réussir le trail maxi-race 85km fin mai 2016, et après, je verrai!

Une fois Maxi-Race réussi (voir mon récit ici), je décide de faire les plans d'entrainement donnés  par le coach à distance, il s'appelle Rodolphe BIER, et il est bien connu des lecteurs du magazine "JOGGING-INTERNATIONAL". Je remarque que ces plans me conviennent très bien et répondent parfaitement à mes contraintes professionnelles et surtout familiales. J'ai l'impression que mon entrainement est "plus léger" que ceux réalisés pour maxi-race ou Templiers....  Mais j'aime beaucoup car je ne me sens pas toujours fatigué tout le long de l'entrainement! Bon je dirai le verdict si je réussiras la course CCC! 

Le 25 août, je prends le TGV en direction de Lyon afin de joindre les autres amis Eric, Fabrice et Nicolas. Hop à Chamonix en voiture pour joindre deux autres amis. Ah oui, je dois préciser que nous sommes 6 traileurs sourds (moi, Fabrice, Nicolas, Eric, Yan et Mika) et aussi un sourd portugais (Pedro) au départ de la course CCC (Courmayeur / Champex / Chamonix). Bref, c'est sympa en groupe !

Fabrice / Mika / Yan / Eric / Nicolas / Moi

Enfin arrivés à Chamonix! Quelle ambiance festive avec nombreux traileurs internationaux! Au salon, il y a beaucoup de stands. Nous croisons plusieurs traileurs célébres comme François D'Haene, Stephane Brogniart etc...

Bon on doit aller chercher nos dossards. Comme Yan et Mika a déjà récupéré des dossards là bas, ils nous préviennent par SMS qu'il faut apporter notre sac à dos chacun avec des matériels obligatoires! Car il y a des contrôles à effectuer avant le retrait des dossards sinon pénalité assurée! Du coup, je suis stressé... 

Une fois contrôlé, c'est bon! Ouf! Heureux d'avoir un dossard n°4230! 

Après visite aux stands, on va "chez nous" pour nous reposer et préparer nos affaires. L'appartement est sympa surtout avec la vue magnifique du balcon! On mange tranquillement et discute du parcours CCC. On imagine comment avaler les gros dénivelés (6100D+/-)...

Bon je dois dormir pour être en forme au départ de la course et aussi ne pas être épuisé pendant toute la nuit ! 

Vendredi 26 Aout, enfin, c’est le jour J après de longs mois d'attente !!!

A 7h30, nous prenons la navette nous amenant de Chamonix à Courmayeur (Italie) via le tunnel du Mont Blanc. Après 30mn environ, nous sommes arrivés, l'émotion monte !

Il est temps de nous rapprocher de la ligne de départ sur la place Brocherel, c’est grandiose tout le monde au départ ! Cette ambiance à la fois tendue et festive! 

Après une courte préparation, nous entrons dans le 3ème sas de départ non loin du premier sas élites pour éviter le bouchon! 

Nous attendons tranquillement le départ sous le ciel bleu avec des sourires, notre ambiance est détendue...

9h17, top départ ! Nous voila parti en direction des montagnes en s'échappant dans les ruelles de Courmayeur. La route va être longue, mais si belle ! Dans ma tête, je vais avaler 100km pour la 1ère fois et je ne m'imagine pas combien de temps je vais courir jusqu'à la ligne d'arrivée ! Ma priorité est d'être finisher quel que soit mon chrono! 

Les premiers km se font sur une route montant, nous allons bientôt attaquer les chemins ! Après quelques km, nous nous arrêtons pour satisfaire un besoin naturel. Un homme vient aussi à côté de nous, mais nous avons l'impression de lui connaître?! Mais oui, c'est un portugais sourd Pedro! Il s'en rend compte aussi, c'est un hasard!

Pedro (à gauche)

Désolé pour Yan déjà loin ... 

Le chemin se transforme rapidement en monotrace alors que la pente s’accentue, nous ramenant à la queue en mode marche forcée... Ca va être long! Nous perdons déjà de vue Yan, pas étonné puisqu'il est le très bon traileur! 

Déjà la 1ère grosse ascension : 1500m de dénivelé positif en 10km pour atteindre le sommet de la tête de la Tronche (plus de 2571m d’altitude) ! Nous sommes en file indienne et avançons tranquillement les mains avec les bâtons. Ce rythme régulier me permet de bien profiter de l' incroyable panorama de montagne !

Certains traileurs s'essoufflent déjà en s'arrêtant. je me dis que ça nous reste encore 90km à courir... Malgré la grosse chaleur, je supporte bien. Mes jambes aussi. Bref je marche continuellement !

Enfin nous atteignons le sommet de la tête de Tronche après 2h30 environ de montée! Le paysage est époustouflant avec une magnifique vue sur le Mont Blanc et Courmayeur en fond de vallée !

Eric est déjà devant, Nicolas vient de me joindre. Il m'informe que Fabrice n'a pas l'air bien en s'asseyant sur la pente. Aie, ce n’est pas bon signe... Mika continue à monter.  Bon Nicolas et moi allons descendre à vive allure vers le premier ravitaillement : le refuge de Bertone. Le sol est très sec, il y a beaucoup de poussières, pas évident quand mon nez respire...

Enfin, KM15 à 12h57, 1er point d'eau au refuge de Bertone ! Eric est là avec Pedro. Ils repartent car ils ne veulent pas perdre du rythme, je comprends tout à fait! Je remplis deux bidons et mange un biscuit salé. Hop on repart à l’assaut du refuge Bonatti. Cette portion est assez roulante et nous traversons à plusieurs fois de jolis torrents, j'y plonge régulièrement ma casquette pour me rafraîchir la nuque. Ca me fait du bien sous la canicule ! L’eau est très bonne.

KM22, 2ème point d'eau au refuge Bonatti KM22 à 14h14 ! Remplissage rapide de bidons, on repart ensuite pour une nouvelle portion un peu plate en direction du premier gros ravitaillement d’Arnuva. On court et trottine tranquillement en admirant le paysage magnifique sous le ciel bleu malgré la canicule. On est émerveillé, comme des gosses! Je bois régulièrement à petites gorgées, tout va bien pour mon ventre!

KM27 à 15h26, 1er gros ravitaillement à Arnuva! Je suis un peu fatigué à cause de la chaleur. Nicolas n'est pas bien moralement, car il a un peu mal au ventre, un peu comme la dernière fois lors du trail maxi-race. Aie... 2h30 d'avance sur la barrière horaire, ça va! Nous profitons de la petite pause pour boire la soupe de vermicelles, c'est bon! Après une quinzaine de minutes assis tranquillement, il est temps pour nous de reprendre la route. On retrouve de l'énergie! Nous allons attaquer une nouvelle longue ascension : le Grand Col Ferret, environ 1000mD+ sur 4km! On monte tranquillement, il fait très chaud. Heureusement, en montant, on retrouve un peu d’air frais... Surpris, nous voyons Eric marcher lentement. Aie, il a l'air pas bien quand il est assis... Il dit avoir des nausées...  Nous discutons tranquillement avec lui. Bon nous devons lui laisser pour continuer à monter.

Enfin, arrivée au sommet après 2h environ d’effort! Le panorama est toujours fabuleux ! Eric nous joint. Nous avons envie de prendre une petite pause en admirant le paysage. Mais il fait très frais et il y a beaucoup de vent. Pour ne pas prendre froid, je veux descendre à toute allure. Une belle descente pas trop difficile jusqu’à la Fouly permet de me lâcher un peu ! Mais le problème c’est qu’elle dure assez longtemps , que les cuisses souffrent un peu et que je me sens un peu faible, il me manque de l'énergie. Mais mon but est d'arriver à la Fouly, deuxième gros ravitaillement pour manger !

KM42 à 18h47, 2ème gros ravitaillement à la Fouly! Direction la soupe de vermicelles! Délicieux! Aussi je prends du chocolat et des bananes pour avoir de l'énergie! Sur le banc, j'attends Nicolas. Enfin il arrive! Mais il ne va pas bien et décide d'abandonner à cause de la douleur de son ventre... En plus, je viens d'apprendre par Facebook que Fabrice abandonne aussi à cause de la barrière horaire... Je suis déçu, il y a beaucoup d'abandons liés aux problèmes gastriques après 40km seulement... je me dis que je ne veux pas abandonner à mon tour! L'abandon de mes amis me donne de l'énergie supplémentaire pour aller au bout! Après 30mn environ de repos, je dois laisser Nicolas qui attend Eric. La luminosité commence a baisser, je vais courir tout seul et je pense déjà au prochain ravito de Champex (KM56). Et c’est reparti pour la fin de descente en direction de Champex. Je traverse le mignon petit village de Praz de Fort. Et après, c’est le début d’une dernière difficulté avant Champex : un peu plus de 400mD+ en 5/6km. Contrairement à ce que je pense, c'est quand même dur de monter ! Bon allez on arrive bientôt au ravito!

KM56 à 21h48, 3ème gros ravitaillement à Champex! encore 2h d'avance sur la barrière horaire, donc pas de pression! Dans la grande tente, il y a beaucoup de traileurs internationaux avec leurs familles ! Par exemple le traileur chinois fait le bisou avec son petit enfant, c'est mignon! Ce serait aussi super si ma femme et mes deux enfants étaient présents, ça me ferait du bien ! Bon pas grave, je parle un peu avec ma femme par SMS, elle m'encourage. Ca me remonte du moral, merci à elle! Malheureusement, je viens d'apprendre que Mika et Eric abandonnent aussi... Sauf Yan et Pedro, je me sens seul... Bon je dois manger un peu des pâtes et je bois la soupe de vermicelles mais l’absorption semble difficile pour mon estomac et je manque d’envie. Je préfère ne pas me forcer. Après une quinzaine de minutes passées, je décide de repartir. Mon tee-shirt est mouillé par ma transpiration, mais je n'en ai pas d'autres dans mon sac... Aie, il fait frais dehors, bon je prends le coup-vent pour protéger mon ventre, histoire d'éviter les nausées! 

Tente de ravitaillement

En sortant de la tente, je me dis que la mi-course est passée qu'il ne me reste que 45 km à courir !!  Il commence à faire nuit, je vais courir en mode nuit! Je prends le buff et la lampe frontale par dessus. Je cours tranquillement, mes jambes supportent bien! Cool! Attention, la portion de faux plat montant mène aux pieds de la bosse, pas facile d'alterner la marche et la course pour économiser mon énergie, ensuite la pente est vraiment très raide sur certaines portions ! Enfin, nous plongeons vers Trient (Italie) via un sentier assez technique en sous bois.

KM72 à 2h06, 4ème ravitaillement à Trient! Pas de souci avec la barrière horaire. Je bois encore de la soupe de vermicelles, et je mange toujours du chocolat et des morceaux de bananes. Je me repose un peu, je regarde le parcours CCC, il me reste encore deux dernières grosses ascensions. Bon allez encore 29km!! je me sens très motivé même si je suis fatigué mentalement et physiquement car je pense que j'irais au bout mais je ne dois pas être trop positif!

Bon, à moi d'attaquer la grosse ascension vers Catogne (plus de 700mD+ en 5km environ) ! Aie, je sens mon estomac commencer à être saturé à cause de trop de soupes de vermicelles... Je prends le temps pour que ça descende et ça disparait rapidement! Ouf!  Je grimpe, je ne pense à rien d’autre qu’à avancer ! En contrebas, j'aperçois ce long serpent de lumière sur des centaines de mètres. Je vois que le sommet  de Catogne est encore très loin, j'avance tranquillement. Heureusement le temps passe vite, et j'atteins le sommet! Du coup, je fais une descente lente et prudente jusqu’à Vallorcine, prochain ravitaillement. Mes jambes se fatiguent. Depuis Champex, ce n’est qu’une succession de grosses montées et de grosses descentes !! C’est fatiguant physiquement et mentalement! Et je vois le ravitaillement juste en bas, je l’atteins bientôt enfin! 

KM83 à 5h19, 5ème et dernier ravitaillement à Vallorcine! Je ne prends pas la soupe de vermicelles même si mon ventre va bien ! Comme la barrière horaire est encore loin, je me repose un peu avant d'attaquer la dernière très grosse ascension de la tête aux vents !

Bon on y va! J'ai un bon moral, je me dirige à petites foulées sur un sentier assez large avec faux plat montant jusqu'à Col des Montets. C'est là où on arrive au pied de la dernière difficulté, la Tête aux Vents, 2,5km pour 600m de D+, considéré pour moi comme la plus dure... Il suffit de regarder au ciel pour voir les traileurs très loin... C'est un peu comme un mur!  Bon je dois gérer cette dernière grosse difficulté. C'est un sentier très rocheux avec des escaliers ou des barres d’acier plantées dans la roche pour m'aider dans l’ascension mais c'est vraiment dur! Mais je suis en état de grimper sans m'arrêter, c'est un bon signe pour moi!

Il commence à faire un peu jour, je range la lampe frontale dans mon sac. Et aussi le coup-vent, car il fait un peu chaud. Je continue à grimper un peu comme un escargot !  Enfin, j'arrive au sommet de la Tête aux Vents!! Dans ma tête, c’est déjà une victoire !! Enfin presque, il faut continuer encore avec des petites montées et descentes sur un sentier assez technique jusqu'à la Flégère. Le soleil se lève sur le Mont blanc, c’est magnifique ! Un chamois passe juste devant moi dans la pente !

 KM93 à 9h02, dernier point d'eau à la Flégère ! Enfin, il n'y a plus que 8km de descente !! Ça y est, je vais  terminer cette CCC !! Je bois tranquillement de l'eau. Après quelques minutes de repos, je repars avec le bon moral! La descente très longue me fait très mal aux jambes ! J’aimerais aller plus vite, mais c'est très difficile sur un sentier avec des roches et des racines! Il me reste quelques km, ça va me booster et enfin je retrouve mes jambes quand les randonneurs et les supporteurs me félicitent !

Enfin, je retrouve le bitume ! Ce sont mes derniers efforts, il faut savourer ces moments !! Et puis après quelques minutes, voilà le centre de Chamonix ! Les supporteurs sont nombreux au bord de la route pour nous encourager et nous féliciter ! Mes amis sont là et me félicitent chaleureusement! Ca me chauffe au coeur! J'entre dans le dernier kilomètre, les images de cette course exceptionnelle et des derniers mois d'entrainement défilent dans ma tête, les larmes me viennent, l’émotion m’envahit, celle que je m’étais souvent imaginé lors de ces mois de préparation ! Enfin, l'arche d’arrivée est à quelques mètres, de l’immense joie, de l’excitation, de la satisfaction personnelle, de l'accomplissement. Bref, beaucoup d’émotion et du BONHEUR !

Ca y est, je l'ai fait,  je suis FINISHER !!!! Très ému, j'ai du mal à croire que je suis officiellement ULTRA-TRAILEUR seulement 3ans et demi après mon premier footing!

Après 25h20 d'effort, j’ai réussi à atteindre mon plus grand objectif de cette année, aller au bout de cette course très difficile, 101km et 6100m de dénivelé positif! C'est une expérience incroyable! Quelle belle aventure qui sera gravée à jamais dans ma mémoire!

Après une courte sieste à l'hôtel, je profite du grand moment de détente pour boire de la bière fraiche et je me régale au restaurant gastronomique avec mes amis!  

Merci à tous ceux, famille et amis qui m’ont suivi et encouragé de près ou de loin, merci à mon coach Rodolphe BIER pour ses programmes d'entrainement et ses conseils (sans lui, je ne serais pas sûr de réussir cette course...), merci aux amis traileurs (finishers ou non) pour leurs encouragements, leurs ambiances et leurs sourires (à refaire pour l'année prochaine!!), surtout merci à ma femme pour son encouragement, son amour et sa patience pendant les mois d'entrainement et enfin merci à mes deux petits enfants (particulièrement à Thomas de 7ans pour m'avoir demandé de ne pas abandonner cette course...) !

FIN